Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

» Je n’avais pas à mépriser les richesses ; mais je souffrais avec résignation, selon la recommandation précise de la philosophie ; mais la solution pratique de la question de mon avenir n’en avançait ni plus ni moins.

» Un jour mon hôtelier vint chez moi ; il rayonnait de joie.

» — Je vous ai trouvé un élève, — me dit-il ; — vous gagnerez trente francs par mois, un franc par cachet ; il s’agit d’un brave garçon qui a fait d’assez mauvaises études, et qui voudrait se mettre en état de passer son examen de bachelier-ès-lettres.

» Je me crus sauvé ; malgré quelques fâcheuses défiances à l’endroit de mon autorité morale et physique, car je me savais peu imposant, pourtant, seul à seul avec un élève, je comptais vaincre ma timidité.

» L’élève me fut présenté : il était aussi embarrassé, aussi laid et à-peu-près aussi ridicule que moi ; il me parut être la meilleure créature du monde, et me témoigna tout d’abord la plus respectueuse déférence. Je me crus sauvé ; je lui donnai sa première leçon.

» Là je rencontrai un effrayant écueil dont je ne soupçonnais pas l’existence. De ce jour seulement je compris que l’on pouvait posséder une instruction réelle, savoir beaucoup et être complètement, absolument inapte à enseigner les autres ; j’avais la plus grande difficulté à m’exprimer ; la moindre objection me déconcertait, et puis je sentais que pour que mes leçons fussent fructueuses, il fallait traduire couramment et tout haut, entremêler cette traduction de dissertations destinées à faire ressortir telle beauté, goûter