Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 3-4.djvu/96

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fille sembla faire un violent effort sur elle-même, leva au ciel ses beaux yeux bleus, et revint lentement reprendre sa place dans l’ombre de la cheminée.

À ce moment la Levrasse disait brutalement :

— Allons, remettez vos coiffes, il n’y a pour moi rien à faire ici. C’était bien la peine de perdre mon temps.

Puis, faisant quelques pas vers la porte, la Levrasse ajouta :

— Bonsoir la compagnie…

Alors il se passa une scène de marchandage à la fois ignoble et pénible.

Scène pénible, parce que c’était pitié que de voir ces malheureuses qui ne savaient que trop combien le pain était cher, ainsi qu’avait dit la Levrasse, prier, supplier cet homme, quelques-unes avec larmes, d’acheter à tout prix leurs cheveux, pauvre et dernière ressource sur laquelle elles avaient tant compté.

Scène ignoble, parce que la Levrasse, abusant avec une indigne rapacité de la misère de ces infortunées, marchandait opiniâtrement sou à sou, répétant sans cesse que l’acquisition ne lui convenait pas, et la dépréciant sans merci.

Enfin, de guerre lasse, ces malheureuses subirent les offres de l’acheteur ; elles demandaient trois ou quatre francs de leur chevelure, la Levrasse consentit à grand’peine à leur en donner vingt sous…

Les vingt sous furent acceptés… C’était du moins du pain pour trois ou quatre jours…

Il y eut encore un moment qui me causa une impression cruelle : ce fut de voir, pour ainsi dire rasées, toutes