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Et au même instant, avant que j’eusse pu prévoir cette attaque, on me saisit par-derrière, un mouchoir me fut appliqué sur la bouche et noué derrière la tête en guise de bâillon ; puis, malgré ma résistance désespérée, je me sentis à la fois accablé de coups, poussé et presque emporté jusque dans une de ces petites rues montueuses qui, à cet endroit, débouchent sur ce boulevard ; le mouchoir étouffait mes cris ; le grand nombre d’assaillants paralysaient mes forces ; cette scène fut si prompte, que j’étais déjà jeté et terrassé au fond de l’allée obscure d’une maison de cette rue, avant que j’eusse pu me reconnaître. Le mouvement occasionné par cette violence fut sans doute à peine remarqué des passants, ou considéré par eux comme une de ces rixes ignobles, assez fréquentes aux abords des théâtres.

Renversé sur les pavés de l’allée, criblé de coups dont plusieurs m’ensanglantèrent le visage, ma tête porta rudement contre une pierre ; le choc fut tel que je perdis à-peu-près connaissance : au milieu d’une souffrance à la fois profonde et sourde qui semblait vouloir faire éclater mon crâne, j’entendis une voix dire :

— Il en a assez… allons nous-en… voilà la sortie…

Il se passa ensuite un assez long espace de temps pendant lequel je n’eus d’autre perception que celle de douleurs très-aiguës ; puis, peu à peu, je repris mes sens ; j’étais glacé et comme perclus ; j’essayai de me relever, j’y parvins avec peine ; sans savoir presque ce que je faisais, je sortis en chancelant de l’allée… la nuit était noire, la rue déserte ; il tombait une neige épaisse ;… l’action du grand air me rappela tout-à-fait à moi-même.