Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 5-6.djvu/51

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— Donne-moi la main… laisse-toi conduire, et suis-moi… — me dit le cul-de-jatte.

Je ne puis rendre l’impression de dégoût et d’horreur dont je fus saisi lorsque je sentis ma main dans la main de ce misérable… Une frayeur puérile, causée sans doute par l’affaiblissement de mon cerveau, me fit voir dans cette union de nos mains le gage d’une sorte de pacte entre moi et le cul-de-jatte. Il s’arrêta en haut d’un escalier assez rapide, ouvrit une porte, la referma sur nous ; à l’aide d’une allumette chimique il alluma une chandelle qui éclaira bientôt une assez vaste chambre où nous arrivâmes après avoir traversé un étroit corridor. La chambre en question était tellement encombrée d’objets de toute sorte, qu’il restait à peine la place du lit et de quelques meubles. Plus de la moitié de la fenêtre, dont les rideaux jaunâtres se croisaient scrupuleusement, était envahie dans sa hauteur par une multitude de paquets.

— Voilà un lit… dors… demain matin nous causerons, et si c’est nécessaire, nous aurons un médecin, — me dit le cul-de-jatte, — tu verras que je ne suis pas si diable que j’en ai l’air.

Tirant alors un des matelas du lit, il l’étala sur le carreau, prit pour oreiller un des nombreux paquets dont la chambre était encombrée, souffla la chandelle et se coucha.

Brisé moralement et physiquement, presque incapable de réfléchir, je ressentis un moment de bien-être inexprimable en me jetant sur ce lit, où je ne tardai pas à m’endormir, car j’avais passé la nuit précédente au milieu des champs et dans une pénible insomnie.