Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/303

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Néanmoins ces idées encore vagues, plutôt instinctives que mûrement raisonnées, ne pouvaient avoir immédiatement toute leur puissance d’action : un homme de l’âge et de la trempe de M. Duriveau ne se transforme pas en un jour. La lecture des Mémoires de Martin jetant dans cette âme incroyablement endurcie quelques généreuses semences, les événements à venir pouvaient seuls les développer ou les étouffer…

Ainsi, après avoir un moment songé avec un orgueil involontaire que Martin était son fils… pensée d’une légitime, d’une généreuse fierté… pensée d’un bon orgueil, si cela se peut dire, le comte retomba bientôt dans les ressentiments de l’orgueil le plus détestable, il se révolta contre la haute valeur morale de ce fils dont il s’était un instant félicité ; l’envie, la haine, la colère, la honte lui soufflèrent au cœur les plus mauvaises passions. Dans sa joie cruelle, il se disait qu’au moins Martin était en prison, qu’il y resterait long-temps, car lui, Duriveau, le chargerait de toutes ses forces, userait de toute son influence, et elle était grande, afin de lui faire infliger une condamnation sévère, pour se débarrasser ainsi de la présence d’un misérable qui lui inspirait autant d’aversion que de crainte.

Puis, comme l’homme le plus méchamment perverti (surtout lorsque dans sa jeunesse il a connu des sentiments humains, généreux, et M. Duriveau avait ainsi commencé), comme l’homme le plus méchamment perverti, disons-nous, ne peut, quoi qu’il fasse, fermer tout-à-fait les yeux à l’auguste splendeur des grandes vertus, le comte, après avoir écouté son funeste orgueil qui lui disait de haïr Martin… écoutait sa conscience,