Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/138

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devant elle, par rang de taille, les plus jeunes d’abord, le tout sans se presser, avec une discipline admirable, pendant que les deux gros coqs-d’Inde qui, par leur âge, par leur dévoûment, jouissaient de quelques privilèges, laissaient majestueusement défiler leurs compagnons devant eux, hâtant même de quelques coups de bec fort équitablement répartis la lenteur des retardataires ou des flâneurs. Lorsque le troupeau eut gagné son gîte, moins ces deux importants personnages. Bruyère ouvrit la porte du perchoir. Quoique à ce moment la figure de la jeune fille fût empreinte d’une mélancolie profonde, un doux sourire de satisfaction effleura ses lèvres à l’aspect de l’ordre réellement surprenant qui régnait dans le hangar, la gent emplumée y était déjà symétriquement étagée par rang de taille ; les plus petits du troupeau, entrant les premiers, allaient, selon l’habitude que leur avait donnée Bruyère, se percher au plus haut de trois perches de bois rustiques disposées en retraite, les unes au-dessus des autres. L’instinct observateur et l’intelligence de la jeune fille devinant l’inconcevable éducabilité dont sont doués tous les animaux, elle avait, dans son humble sphère, à force de patience et de douceur, accompli des prodiges.

Tout au faite du hangar, et dominant le perchoir, était, si cela se peut dire, le nid de la jeune fille.

Toute petite, Bruyère, par un sentiment de pudeur précoce et de dignité de soi, un des traits les plus saillants de son caractère, avait invinciblement répugné à partager la litière commune où, dans cette métairie comme dans toutes les autres, filles et garçons de ferme couchent pêle-mêle au fond de quelque écurie,