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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/159

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des êtres voués à un travail incessant et au-dessus de leurs forces… Ces corps, déjà faibles et affaiblis chaque jour par une nourriture insuffisante, perdant tout ressort, toute énergie, gardent peu à peu le pli, la position qui leur est la plus habituelle ; incessamment courbés vers la terre, leurs articulations se rouillent, leurs membres débiles, exposés au froid, à l’humidité, deviennent perclus ; l’âge arrive, et un jour ces malheureux augmentent le nombre des martyrs du travail.

Certes, on lirait dans une légende qu’un Dieu vengeur, voulant punir un meurtrier, l’a frappé d’immobilité alors que, penché vers sa victime, le poignard levé, il s’apprêtait à l’égorger… et que, ce Dieu, pour donner aux hommes un exemple terrible, a dit à l’assassin :

— Tu vivras,… mais ton corps maudit conservera toujours la position qu’il avait au moment où tu allais frapper ta victime…

Quoique bizarre, cette légende ne manquerait pas de moralité.

Mais quand on songe aux cruels paradoxes de certains oisifs et heureux du monde, renforcés de faux prêtres et de savants économistes qui légitiment les plus impitoyables égoïsmes en proclamant de par la volonté divine que l’homme est à jamais voué, sur cette terre, aux larmes, à la misère, à la désolation ; l’on ne s’étonnerait pas d’entendre quelqu’un de ces religieux croyants à la fatalité du mal, s’écrier, à propos d’une pareille légende :

— Prolétaires des campagnes ! votre race maudite aura incessamment le front baissé vers cette terre aride que vous fécondez de vos sueurs ; c’est votre destinée !