Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette dissimulation n’avait eu pour cause ni la méchanceté, ni l’égoïsme, ni cette espèce d’âpre jalousie qui conduit quelquefois le savant à cacher ses découvertes avec autant de soin que l’avare son or… Non, une profonde, une incurable insouciance avait seule empêché le père Jacques de faire montre et application de son savoir. Quel intérêt, quelle incitation d’ailleurs pouvaient le porter, l’encourager à cela ? Que le champ de son maître rapportât beaucoup, ou peu, ou point, que lui importait ? Son salaire insuffisant et son rude labeur étaient les mêmes[1] ; dans sa naïve ignorance de soi le vieux laboureur ne pouvait être poussé par l’ambition de passer pour un novateur. Pourtant, comme il était, après tout, bonhomme, et que les désastreuses traditions de la routine le révoltaient plusieurs fois, il se hasarda de donner quelques conseils, admirables de raisonnement et de savoir pratique ; on lui tourna le dos en le traitant de fou, et il se le tint pour dit ; désormais, agriculteur ou berger, il se contenta de fonctionner ni plus ni moins intelligemment que ses compagnons ; puis vint enfin le jour où, perclus de tous ses membres, il tomba sur la litière qu’il ne devait plus quitter. Dès ce moment, il sembla se vouer à un silence absolu.

  1. L’on ne saurait croire combien de précieuses découvertes, d’excellentes améliorations, dans la manière de fabriquer ou de produire, restent ainsi enfouies, faute d’incitation, d’intérêt ou d’occasion. Nous avons parlé, dans un autre ouvrage (le Juif Errant), des résultats incroyables obtenus par un de nos meilleurs amis, M. Camille Pleyel, qui, le premier, a appelé les ouvriers de ses ateliers à une participation dans ses bénéfices, et à une participation dans ses travaux ; des procédés parfaits et nouveaux lui ont été ainsi révélés.