Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/257

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pect de ces fabuleuses somptuosités, de cet exorbitant superflu, il songeait à l’affreuse misère des gens de ce pays, décimés par la fatigue, par la maladie, par le besoin… Horrible détresse que le comte Duriveau, possesseur de presque toute la contrée, aurait pu si facilement et sans presque rien retrancher à ses jouissances, changer en bien-être… en aisance… Car richesse oblige… — pensait Martin… — et il faut savoir se faire pardonner son luxe

Mais aucun de ces secrets ressentiments ne se trahissaient sur sa figure impassible, aucun autre des gens de la maison ne se montrait plus que lui intelligent et empressé dans le service des convives.

Scipion (le frère de Martin), malgré ses prétentions à une faim d’ogre, mangeait peu, et ce peu, il l’assaisonnait d’épices à brûler le palais ; depuis long-temps son goût s’était dépravé, mais il buvait comme une outre, et cela impunément. De tous les vins le plus capiteux, le Porto, ne l’enivrait plus. Quand il ne buvait pas, il faisait boire du vin de Champagne à Mme Chalumeau, et lui adressait effrontément, à demi-voix, les déclarations les plus graveleuses et les plus risquées. La pauvre Chalumeau, craignant de passer pour une bégueule provinciale aux beaux yeux d’un si joli lion, commença par minauder en écoutant ces impertinences libertines ; puis la charmante figure de Scipion, l’excitation de la bonne chère et le vin de Champagne aidant, la jeune femme finit par sourire, puis peu-à-peu ses yeux s’allumèrent, son oreille passa de l’écarlate au cramoisi, elle faillit à faire éclater ses brandebourgs par