Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/272

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Et le digne homme sirota son café avec componction.

— Ou la misère du peuple est feinte, ou elle est le résultat de ses vices, — ajouta sentencieusement M. Chandavoine, en remuant son sucre au fond de sa tasse, — et alors cette misère ne mérite aucune pitié.

— C’est évident, — reprit un industriel retiré, — les bons sujets s’enrichissent, les caisses d’épargnes en font foi ; et d’ailleurs, lisez chaque année le discours du trône : La prospérité va toujours croissant.

— M. le comte sait mieux que personne l’ingratitude de ces gens-là : Experto crede Roberto, — ajouta un ancien avoué. — N’a-t-il pas été cruellement dupe de sa générosité naturelle ?

En écoutant les âpres paroles de M. Duriveau, la figure pâle et expressive de Martin annonçait, non de la surprise, non de l’indignation, mais une tristesse amère, nous dirions presque une pitié douloureuse. De temps à autre il jetait un regard inquiet sur le massif où se tenait toujours blotti le braconnier qui, invisible, entendait aussi cet entretien.

— Mais ce que vous ne croirez pas, Messieurs, — reprit le comte, — c’est que j’eus la sottise de m’attrister de ces déceptions qui courent les rues.

— Vraiment ! Monsieur le comte ?

— Oui, Messieurs, et qui mieux est, je me dis, le cœur navré : Laissons dans la fange de l’abrutissement, où elle doit naître et mourir, cette ignoble populace des villes, allons dans mes terres : là, du moins, je trouverai des hommes simples, bons et reconnaissants…, que n’a pas corrompu la crapule des cités… Là, je placerai mes bienfaits, sans crainte