Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/414

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tout heureux d’avoir fidèlement rempli ma pénible tâche, et croyant, je ne sais pourquoi, trouver sur la froide figure de mon maître une expression d’encourageante bonté, je m’emparais de sa main, je la baisais avec effusion… et fondant en larmes.

Le Limousin ne comprenant rien, sans doute, à ce sentiment, me regardait avec surprise, puis haussant les épaules, il retirait sa main en me disant :

— C’est bon, Martin… à bas, mon garçon…

Tout comme s’il eût été question d’un chien dont les caresses deviennent importunes.

Alors le cœur me manquait, tant j’y souffrais ; je m’étendais sur notre grabat, étouffant mes soupirs, cachant mes larmes, de crainte d’être importun ou de prêter à rire à mon maître, et je m’endormais tout en pleurs.

Après avoir en vain tâché de me faire aimer de mon maître, voyant mes témoignages d’attachement enfantin toujours accueillis avec une profonde insouciance, quand ils ne l’étaient pas avec impatience, je tombai dans un profond découragement.

Maintenant plus expérimenté, je comprends mieux et j’excuse la froideur du Limousin ; grâce à son habitude et à son genre d’ivresse, il ne vivait pour ainsi dire pas en ce monde… tout ce qu’il y avait en lui d’affectueux, de sympathique, trouvait son épanchement dans les illusions auxquelles il s’abandonnait. Cet homme, ordinairement si froid, si triste, si taciturne, une fois sous l’empire de ses hallucinations, répandait de douces larmes d’attendrissement, exprimait les sentiments les plus touchants, ou se livrait à la plus folle gaîté ; l’offre