Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/423

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appuya son menton dans sa main gauche, tandis que, de sa main droite, il tenait son gobelet, prêt à le remplir encore, car le baril n’était pas vide…

Je voyais mon maître de profil, il était à peine vêtu d’une chemise et d’un pantalon en lambeaux, troué de tous côtés, comme la toile à carreaux de la couche où il reposait ; la clarté douteuse que filtraient les carreaux de l’imposte, se concentrait sur son visage radieux, épanoui.

Limousin fredonnait un chant joyeux, cette figure empreinte d’une sérénité, d’une béatitude ineffables se dessinait rayonnante de lumière et de félicité sur les ténèbres de notre masure… tandis qu’au dehors la bise sifflait et faisait tourbillonner la neige dans la plaine déserte…

Au moment de dérober le vin qui appartenait à mon maître, un dernier scrupule m’était venu ; mais, à l’aspect du bonheur idéal dont il semblait jouir… au milieu de notre triste misère, je n’hésitai plus.

Un gros clou dont j’avais aiguisé la pointe, le tuyau de la pipe d’un de nos compagnons de travail que j’avais cassée, comme par hasard à l’heure du repas, furent les instruments dont je m’étais précautionné ; à leur aide j’accomplis mon larcin ; le fond du baril facilement percé, j’adaptai à cette ouverture le tuyau de la pipe… et je commençai à pomper le vin à longs traits, avec une angoisse, avec un battement de cœur terribles…

D’abord l’âcre saveur de ce vin épais, capiteux, me cause une grande répugnance, je surmontai ce dégoût, et bientôt une chaleur inconnue circula dans mes veines ;