voix si basse, si basse, qu’à peine je l’entendais ; — les chirurgiens… les secours… c’est bon pour les gens des villes… Pour nous autres… tiens… petit, les voilà, ceux qui viennent à notre aide quand nous mourons. — Et il me montra une volée de corbeaux qui passaient au-dessus de la forêt ; alors mon père, faisant effort pour se redresser sur son séant, a ôté ses mains d’autour de sa jambe ; elles étaient toutes rouges ; il m’a tendu les bras en me disant : — Embrasse-moi, pauvre petit… Tu travaillais déjà bien pour tes forces… Qu’est-ce que tu vas devenir ? mon dieu !… qu’est-ce que tu vas devenir ?… Et puis mon père a voulu encore me parler ; mais le hoquet l’a pris… il a retombé sur le dos… et il est mort.
En prononçant ces derniers mots, Bamboche mit ses deux mains sur ses yeux et pleura.
Je pleurai comme lui ; il m’inspirait une compassion profonde ; je le trouvais bien plus à plaindre que moi… Il avait vu mourir son père sans pouvoir lui porter aucun secours.
— Et alors, qu’est-ce que tu es devenu ? — demandai-je à Bamboche, après un moment de silence.
— Je suis resté auprès du corps à pleurer, et puis, la nuit est venue ; de fatigue, je me suis endormi… Au jour, j’avais grand froid ; le corps de mon père était déjà raide, dans sa blouse blanche, tachée de sang. Je retournai au carrefour de la forêt, pour y trouver le laboureur de la veille, lui dire que mon père était mort, et qu’on vienne l’enterrer. Le laboureur n’y était pas ; il n’y avait que sa charrue… Comme il ne venait pas, j’ai retourné à notre cabane, bien loin du carrefour.