Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/474

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naturellement les cheveux carotte-foncé, économie de perruque à queue rouge. Il ne restait plus de la troupe que la mère Major, moi et la Levrasse ; le mauvais temps venait, c’était fini de la crampe pour l’année ; nous revenions ici, où la Levrasse passe l’hiver, lorsqu’un soir, après notre journée de marche, nous nous arrêtons pour passer la nuit dans un bourg ; il y avait quelque chose à raccommoder à la voiture, la Levrasse la conduit chez un charron, et il revient à l’auberge l’air tout content. « — J’ai notre affaire, — qu’il dit à la mère Major, — j’ai trouvé une Basquine. — Bah ! et où çà ? — Chez le charron, il a onze enfants, dont six filles ; l’aîné de cette marmaille est un garçon de quatorze ans, tout ça crève la faim, une vraie famine, sans compter que la mère est infirme ; mais, sais-tu ce que j’ai vu au milieu de cette potée d’enfants ? une petite fille de dix ans, un amour !… un trésor !… des cheveux blonds superbes et tout bouclés, des yeux noirs longs comme le doigt, une bouche comme une cerise, une petite taille mince et droite comme un jonc, et avec ça une petite mine futée, et de la gentillesse… de la gentillesse à en revendre. Elle est bien un peu pâlotte, parce qu’elle meurt de faim comme le reste de la famille, mais avec de la viande et du lait elle deviendra rose et blanc. Je la vois d’ici avec une jupe rouge à paillettes d’argent, faisant ses grâces au haut de la pyramide humaine, ou chantant de sa jolie petite voix d’enfant des polissonneries comme : Mon ami Vincent ou la Mère Arsouille[1], ça nous fera pleuvoir autant

  1. L’obscénité de ces chansons est assez connue pour qu’il soit inutile d’insister à ce sujet.