Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/48

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reuse, à tous les plaisirs dont il avait été jusqu’alors sevré, il se montra généreux et bon, cédant en cela au mouvement de son cœur et à l’espèce d’ivresse que cause souvent l’exubérance d’une félicité soudaine et jusqu’alors inconnue.

Les essais de générosité d’Adolphe Duriveau furent souvent payés par l’ingratitude ; l’ingratitude… ce creuset où s’éprouvent les âmes véritablement généreuses et persévérantes ; cet homme ne résista pas à cette rude épreuve : il commença par s’affliger, puis il s’aigrit, puis il s’irrita, puis il se durcit ; son cœur, enfin, se bronza. Ainsi que tant d’autres, s’armant du peu de bien qu’il avait tenté de faire, M. Duriveau érigea l’ingratitude humaine en principe et la dureté de cœur en devoir, si l’on voulait ne pas être dupe des ingrats. Trop facilement désabusé du bien, parce que sa générosité novice et étourdie manquait de patience, de désintéressement, de discernement, de résignation, et surtout de mystère et de pudeur, si cela se peut dire, M. Duriveau ne se doutait pas qu’il lui avait manqué l’intelligence des maux qu’il croyait soulager, et qu’il aggravait parfois, parce qu’il avait le tact brusque, impatient, rude, et que l’apaisement de certaines infortunes timides, ombrageuses, demande un tact d’une douceur, d’une délicatesse extrêmes.

Cet essai louable, mais malheureux, dans la pratique des idées généreuses, devait amener et amena dans l’esprit d’Adolphe Duriveau une funeste réaction ; pour lui l’insensibilité systématique devint — expérience des hommes ; — la pitié : faiblesse ; — l’égoïsme : bon sens ; — la cupidité : prévoyance ; — le profond dédain des