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d’impudeur et de chants obscènes, pour exciter la gaîté brutale des buveurs attablés.

Toutes ces passions irritées, déchaînées, grondent bientôt comme un orage, à peine dominé par les éclats du clairon des saltimbanques, par le roulement de leurs tambours, par la volée de leurs cloches qui appellent les spectateurs. Une poussière suffocante, fétide, tourbillonne et jette une sorte de brume sur cette grande orgie du paupérisme.

La nuit vient ; de rouges lumières illuminent ces figures avinées, incandescentes ; c’est alors un redoublement de cris, de chants cyniques, de joie brutale ; l’ivresse grondait sourdement depuis long-temps ; elle éclate enfin !

Aux accents d’une hilarité grossière succèdent les injures, les menaces, puis les brutalités, les violences ; souvent le sang coule. Ces visages, naguères joyeux et empourprés par l’ivresse, deviennent livides, ici meurtris, ailleurs sanglants, ou souillés de boue ; ce ne sont plus des hommes, ce ne sont plus des bêtes féroces, ce sont des fous furieux. L’effrayante action du vin empoisonné qu’on leur vend, jette ces malheureux dans la frénésie… Parfois leurs femmes, leurs enfants, tremblants, éplorés, sont témoins de ces horribles scènes ; des femmes, de jeunes filles, après avoir eu tout le jour la vue et les oreilles souillées par les gestes, par les chants des bateleurs, voient un mari, un père ou un frère victime d’une rixe acharnée, rouler tout sanglant à leurs pieds, ses modestes vêtements du dimanche sont en lambeaux, souillés de fange ; il se relève en trébu-