Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/54

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larmes et honte, le comte, redoutant le ridicule de la gérontocratie, joua son rôle de jeune père, le sourire aux lèvres, la rage et la douleur au cœur ; mais il lui fallait se résigner à ce rôle ;… dès long-temps son fils le traitait avec une impertinente familiarité, contractée au milieu d’une communauté de plaisirs indignes, familiarité dont le comte et ses amis avaient d’abord beaucoup ri ; tout sentiment de déférence, de respect filial devait donc être à-peu-près étouffé dans l’âme de cet adolescent.

Le comte Duriveau, quoiqu’il eût bientôt cinquante ans, ne paraissait pas en avoir quarante, tant sa taille haute et svelte, sa tournure agile, ses allures impétueuses, annonçaient de jeunesse, de vigueur et d’énergie. Il avait le teint très-brun, les dents éblouissantes de blancheur, le menton et le nez un peu forts, les yeux très-grands et très-bleus, les sourcils, la barbe, les cheveux encore presque tous d’un noir de jais malgré son âge ; on pouvait rencontrer des traits plus réguliers, plus attrayants que ceux du comte Duriveau, mais il était impossible de rencontrer une physionomie plus expressive, plus spirituelle, plus audacieusement résolue, et qui annonçât surtout une puissance de volonté plus indomptable : aussi M. Duriveau inspirait presque toujours cette réserve, cette déférence, cette crainte, que commandent les caractères entiers et hautains : rarement on éprouvait pour lui des sentiments d’affection et de sympathie.

Pourtant cet homme, si énergique, se montrait d’une effrayante faiblesse pour son fils et il venait de pâlir et de trembler de tous ses membres, à la vue de