Page:Sue - Martin l'enfant trouvé.djvu/56

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amis du comte, ce malheureux enfant passait à bon droit pour l’un des coryphées de cette vie oisive, prodigue, desséchante, dont les filles entretenues, le lansquenet, le club, l’écurie, la table et le bal Mabille remplissent tous les instants ; dans la danse prohibée Scipion n’avait que deux rivaux, un pair de France, fort spirituel diplomate, et le Nestor du cancan, le grand Chicard.

Pourtant le vicomte Scipion se glorifiait d’être déjà, disait-il, blasé sur ces plaisirs. De fait, il s’était si souvent et si long-temps abreuvé sans soif des vins les plus exquis, qu’à cette heure il les trouvait fades, insipides, et leur préférait souvent l’eau-de-vie… et encore l’eau-de-vie poivrée, l’eau-de-vie du cabaret du coin. Il s’était tellement habitué à la société grossière, dépravée des filles qui l’avaient initié à l’amour, et dont il avait fait ses maîtresses,… que, pour lui, la préférée était celle qui buvait le plus, qui fumait le plus, qui jurait le plus, et qu’il pouvait surtout mépriser le plus. Elle lui rendait ses outrages et ses mépris en argot des halles, qu’il parlait aussi à l’occasion fort couramment, et de tout ceci il se divertissait fort ; mais toujours avec un sérieux glacial, avec un flegme insolent : les gens blasés ne rient jamais. Quant à ses sens, des excès prématurés, l’énervante action du vin et des spiritueux les avaient à-peu-près tués. Il restait au vicomte Scipion les fiévreuses émotions du lansquenet, des paris de course, ou de certains amours terribles, dont on parlera plus tard ;… cet adolescent n’avait pas encore vingt et un ans.

Cependant, quoique fatigués, flétris et malgré leur