doit être bien à plaindre, malgré ses millions !
— D’autant plus à plaindre, — dit Gontran — en souriant avec amertume, — que son père lui a donné les plus hideux exemples. Laissé à quinze ans maître d’une fortune de roi, Lugarto a grandi au milieu des excès et des adulations de toutes sortes. À vingt ans, il éprouvait déjà les dégoûts et la satiété de la vieillesse, grâce à l’abus de tout ce qui se procure avec l’or. D’une nature frêle, délicate, étiolée avant son développement, il n’a de jeune que son âge ; sa figure même, malgré des traits agréables, a quelque chose de morbide, de flétri, de convulsif, qui révèle de précoces infirmités.
J’écoutais Gontran avec étonnement ; en me traçant le portrait de M. Lugarto, sa voix avait un accent d’ironie mordante ; il semblait se complaire dans la triste peinture du caractère de cet homme.
Un moment je fus sur le point de faire cette observation à Gontran, puis je ne sais quel scrupule me retint ; il continua :
— Au moral, Lugarto est un homme profondément dépravé, sans foi, sans courage,