Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/234

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Laisse-moi partager avec indépendance
Tes glorieux travaux et tés fougueux plaisirs ;
Respecte ma beauté, car ma prunelle brille
Et ma robe luisante a la couleur du blé ;
Et respecte mon sang, car j’ai dans ma famille
Des coursiers d’Abydos dont Homère a parlé ! »
Mais l’homme a répondu : « Non, je me civilise,
Et toute la nature est soumise à ma loi ;
L’injustice envers elle est à moi seul permise,
J’ai besoin d’un esclave et je m’adresse à toi. »

Jeune homme de vingt ans, voilà bien ta fortune !
Tu cherchais simplement ton naturel milieu ;
Le pacte humain te pèse, et sa loi t’importune :
Tu voulais rester seul avec ton âme et Dieu.
Et tu disais : « La terre au bonheur me convie,
Ce bonheur est un droit, et ce droit est sacré ;
Je n’ai ni demandé ni désiré la vie :
Il est juste, il est beau que j’en use à mon gré ! »
Tes courses dans les champs, par les oiseaux guidées,
Te montraient les blés d’or mûris par un Dieu bon ;
Tes rêves exploraient le palais des idées
Sur la trace d’Homère et du divin Platon.
Alors, tu t’es épris des bois et des montagnes ;