Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/236

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L’enfant signe ce pacte avec l’humanité ;
Que, sans avoir de droit sur un pouce de terre,
Il donne sur lui-même un droit illimité ;
Qu’elle n’est pas à toi, la fleur que tu veux prendre :
Paye et vends si tu peux ; paye et vends le bonheur ;
La terre voit tous ceux qui n’ont jamais su vendre
Pâlir sur sa mamelle, une main sur le cœur.
Soumets-toi ; car le monde, en sa marche pressée,
Entraîne le plus fort, trouble le plus hardi,
Étend son lourd niveau sur l’homme de pensée
Qui fléchit à son tour servile et refroidi.
Tel un dur laminoir qui hurle et s’accélère
Dévore le barreau brut, intraitable, ardent,
L’écrase, le façonne en sa terrible serre
Et n’en fait bientôt plus qu’un tiède et noir serpent,
Tu croyais, pour sauver ta liberté chérie,
Qu’il suffirait de dire à tes concitoyens :
« Je ne vous connais pas ; la terre est ma patrie ;
Trafiquez de vos droits, moi je garde les miens ! »
Mais en vain tu fuyais leur froide tyrannie :
Ils t’ont traîné soudain dans le commun torrent.
En vain, leur alléguant ton cœur et ton génie,
Tu réclamais l’honneur d’un destin différent ;
Sache que leur faveur est un bruit d’une année,