Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/240

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Vois : maintenant tout dort, la montagne immobile,
La vallée odorante où le vent s’assoupit,
Et le fleuve, et la plaine où la bourbeuse ville
         Comme un dragon noir s’accroupit.

Vois : les hauts peupliers penchent leurs têtes sombres ;
L’air en les inclinant ne les agite pas ;
Ils tiennent leur conseil, semblables à des ombres,
A des spectres géants qui se parlent tout bas.

Le marbre des tombeaux blanchit dans l’herbe brune.
Écoute ! entre les pins les morts légers vont seuls,
D’un pas surnaturel, inondés par la lune,
         Traînant leurs antiques linceuls ;

Ils errent. C’est assez que leur âme ressente,
Affranchie à jamais des soins de l’avenir,
Du repos désiré l’onde rafraîchissante,
Et savoure le miel du lointain souvenir.

Les vivants sont muets, car, sous ton aile immense,
Ils boivent le sommeil avec l’ombre du soir,
Lait sombre et merveilleux qu’aspirent en silence
         Toutes lèvres à ton sein noir.