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LE GUÉ
à étienne carjat
Ils tombent épuisés ; la bataille était rude.
Près d’un fleuve, au hasard, sur le dos, sur le flanc,
Ils gisent, engourdis par tant de lassitude
Qu’ils sont bien, dans la boue et dans leur propre sang
Leurs grandes faux sont là, luisantes d’un feu rouge,
En plein midi. Le chef est un vieux paysan :
Il veille. Or il croit voir un pli du sol qui bouge…
Les Russes ! Il tressaille et crie : « Allez-vous-en ! »
Il les pousse du pied : « Ho ! mes fils, qu’on se lève ! »
Et chacun, se dressant d’un effort fatigué,
Le corps plein de sommeil et l’esprit plein de rêve,
Tâte l’onde et s’y traîne à la faveur d’un gué.