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les destins

Qu’enfin tout l’être en proie à cette douleur seule
Ne soit qu’un bloc de chair sous une énorme meule.
Le pire des destins à coup sûr le voilà ! »

Le terrestre chaos en soupirant trembla,
Comme avant la tempête une mer qui moutonne,
Ou comme un grand feuillage aux haleines d’automne.

« Faire le plus grand mal ! Cet art-là, reprend-il,
Très simple en apparence, est au fond très subtil.
Le tourment sans la mort, est-ce le mal suprême ?
Je découvre, en sondant plus avant le problème,
Qu’il n’est point résolu par mon dernier dessein.
Le calice profond des douleurs est-il plein
Parce que la vendange écarlate y ruisselle ?
Me suffit-il de voir la masse universelle,
Victime impérissable, en criant remuer ?
Non, non ! je veux la joie entière de tuer !
Qu’il meure assez de corps, se dévorant l’un l’autre,
Pour que dans leurs débris à loisir je me vautre,
Et qu’à mon gré repu je sente, plus content,
Des chairs à l’infini renaître sous ma dent,
Au lieu de n’en broyer qu’une et toujours la même !