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les destins

Il soit bientôt le maître insolent du bonheur,
Et, trahissant des mains vides malgré leurs peines,
Il coure s’amasser sous les mains déjà pleines. »

Il ajoute : « Le fer n’est pas seul meurtrier,
Les meilleurs coups sont ceux qui ne font pas crier :
La calomnie agile et l’insulte, pareilles
À des poignards ailés, tûront par les oreilles.
Mais nous créerons assez d’héroïsme et d’espoir
Pour témoigner d’un ciel, attester un devoir,
Et prouver aux naïfs, par des raisons profondes,
Que tout est pour le mieux dans le pire des mondes !
Voilant des maux réels sous des biens apparents,
Nous ferons le visage et l’homme différents ;
Le spectre harmonieux des couleurs et des lignes
Ornera de splendeur les natures indignes ;
Les vices, trop hideux dans leur simplicité,
Raviront, pour couvrir la monstruosité
Des basses passions et des pensers iniques,
Aux plus saintes vertus leurs sévères tuniques.
Les âmes pêle-mêle aux corps s’accoupleront :
L’impudeur hantera le plus candide front,
Le parjure éclôra des lèvres les plus roses,
Et les yeux les plus clairs seront des portes closes.