Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/297

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Et les prêtres m’ont dit : « La Raison nous insulte.
Eh bien, vois son ouvrage et le fruit de son culte !
Hommes, le droit, c’est Dieu qui permet ou défend ! »
J’entendais me railler leur défi triomphant ;
J’eus honte et voulus voir, si, tenant tout sous elle,
Ta loi, vraiment divine, éclate universelle.
Ah ! que cet examen me valut de tourments !
Que sur toi j’ai conçu de doutes alarmants !
Car de tous mes regards l’enquête vagabonde
Fit ma déception grande comme le monde.
Pour en consulter l’ordre et m’y conformer mieux,
Hélas ! Autour de moi j’ai promené les yeux,
Dans l’espoir de ravir au commerce des brutes
Le secret naturel des foules sans disputes,
Et j’ai presque envié leur silence aux troupeaux !
Mais j’ai vu, plein d’horreur, la guerre sans repos,
Sans courage et sans bruit, des espèces entre elles,
Plus atroce cent fois que nos promptes querelles,
Guerre où, par avarice, ouvrier de la Mort,
Le sol contre le faible est l’allié du fort !
J’ai détourné la tête et contemplé les astres :
Un jour de calme y coûte un âge de désastres !
Je le sais, car le prisme, interrogeant leurs feux,
À ces faux paradis arrache des aveux…
J’ai vu chaque élément de leur essence vraie
Étaler sur l’écran sa redoutable raie ;
Je sais que leur matière est terrestre, et qu’ainsi
L’on y pourra souffrir tout ce qu’on souffre ici !