Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/303

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Je ne dédaigne plus la sphère maternelle,
Car, tout humble qu’elle est, je n’ai puisé qu’en elle
          Ce qui me fait juger les cieux.
Je préfère au soleil ce tas d’ombre et de fange,
Si, pour les admirer, je dois à ce mélange
          Mon cœur, ma pensée et mes yeux.

Un astre n’est vivant qu’en cessant d’être étoile :
Il vit par les vertus que son écorce voile,
          Non par l’éclat que nous voyons ;
Il ne vaut que du jour où, transformant ses flammes
Il change sa chaleur et sa lumière en âmes,
          En regards ses propres rayons !

Aussi la terre étroite en majesté surpasse
Le plus beau des soleils engendrés dans l’espace,
          Et vaut mieux qu’eux tous réunis.
Je l’honore en dépit du dogme qui l’outrage,
Parce qu’elle a fait l’homme en achevant l’ouvrage
          Ébauché par les infinis ;

Car ni l’Éternité, ni l’immense Étendue,
Ni la cause première, en ces gouffres perdue,
          Et qui ne dit pas son vrai nom,
Si grandes qu’elles soient, ne l’ont fait toutes seules,
L’homme n’est pas leur œuvre : il les a pour aïeules,
          Mais pour mère et nourrice, non !