Le remords, c’est la voix de la Nature entière
Qui dans l’humanité gronde son héritière :
« Qu’as-tu fait du prix de mes maux,
Des trésors de douleur dont j’ai pétri ta pâte,
Toi pour qui j’ai broyé froidement et sans hâte
Sous mes pilons tant d’animaux ?
« Qu’as-tu fait de ton âme, orgueil de ta planète,
Du fonds que j’ai remis à ta main malhonnête,
Et du sang dont je t’ai gorgé ?
Qu’as-tu fait du marteau, pour gagner ton salaire ?
Sur l’enclume terrestre avec le four solaire,
Quel pont céleste as-tu forgé ?
« Regarde : autour de toi tout lutte et se concerte !
Que d’ouvriers soldats, dont pas un ne déserte
Mes ateliers pleins de leurs morts !
Et toi seule, pour qui des légions périrent,
À qui par millions les victoires sourirent,
Tu bats en retraite et tu dors !
« Regarde : tout aspire, éclôt et meurt plus digne !
Vois dans la goutte d’eau vibrer le zèle insigne
Du peuple infinitésimal ;
Et levant ta prunelle, aux astres familière,
Vois tressaillir des cieux l’ardente fourmilière !
Tout travaille, et tu dors : c’est mal ! »
Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/308
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