Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/310

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« Si je t’ai proposé des épreuves si rudes,
Je sais faire des lits dignes des lassitudes !
          Va ! les sommeils qui te sont dus,
Loin du heurt des marteaux, du grincement des limes,
Berceront ta fatigue en des hamacs sublimes
          D’une étoile à l’autre tendus !… »

Telles au genre humain parlent ces voix natives,
Vibrantes plus ou moins, toujours impératives ;
          Elles l’ont sauvé quand, tout nu,
Sur les mers de la vie où sa galère flotte,
Navigateur de force avant d’être pilote,
          Il fut lancé dans l’inconnu !

Et maintenant qu’errant au gré de la tourmente
L’équipage, à vau-l’eau, n’a rien qui l’oriente,
          Que son radeau fait de débris,
En mêlant tout le fer des chaînes et des armes,
A du pôle recteur fait dévier les charmes,
          Et dérouté l’aimant surpris,

Maintenant que l’orage a couvert les étoiles,
Qu’à des restes de mâts ne pendent plus pour voiles
          Que des restes de pavillons,
Ce sont ces voix encore, à défaut de boussole
Et d’astres, dont l’appel nous guide et nous console,
          Et nous fait hisser des haillons !