Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/68

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l’unité substantielle, et admettre autant de substances individuelles que nous constatons par les sens de groupes sensibles individuels.

Si toutefois nous sommes portés à le faire, si instinctivement nous attribuons à ces groupes sensibles des principes d’unité distincts que nous appelons matière, force, vie, âme, c’est que la connaissance spontanée ne s’opère pas tout entière par le seul fonctionnement des sens, mais qu’il se mêle au témoignage de ceux-ci des données d’une autre source, qui est la conscience.

Toute notion d’unité vient de la conscience, et toutes les idées de force, de vie, d’âme, que nous attachons aux groupes sensibles, ne sont que des applications au monde extérieur des données de la conscience. Ces applications sont-elles légitimes ? Le sont-elles toutes ? Et dans quelle mesure ? La valeur des doctrines spiritualistes dépend tout entière de ces questions.

Il y a une conscience spontanée et une conscience réfléchie, c’est-à-dire que l’esprit peut faire retour sur les témoignages de la conscience comme sur ceux des sens, et séparer là aussi l’objectif du subjectif.

Tout homme prononce « moi » spontanément, dès qu’il sent quelque intérêt à se distinguer des autres êtres, mais peu d’hommes sont capables de descendre en eux-mêmes, de considérer ce moi et de chercher à s’en faire une idée. La conscience réfléchie ne se borne pas à sentir le moi, elle le pense. Elle n’est pas, à vrai dire, une faculté spéciale de l’intelligence, elle n’est qu’une application particulière de la réflexion prenant pour objet l’être affecté et le distinguant de ses affections.

Ce que la conscience réfléchie nous révèle de notre être