Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/86

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nécessité d’une cause et d’une fin, et un être intelligent doué de modes d’activité dont nous sommes dépourvus soumettrait à un plus grand nombre d’axiomes tout ce qui tomberait sous sa perception. Aussi croyons-nous qu’il faut user des axiomes avec discernement ; ils ne sont applicables que dans la sphère de nos perceptions et perdent toute autorité, lorsque, par une extension illégitime, nous les transportons du domaine de nos perceptions à l’univers entier.

Quant aux idées absolues (le nécessaire, l’infini, l’inconditionnel, le parfait), on les considère souvent comme dépassant dans leur objet l’essence humaine et la sphère de l’expérience. Nous avons des réserves à faire sur ce point. Remarquons qu’elles ne posent aucune catégorie qui ne soit impliquée dans l’essence humaine : substance, relation, qualité, quantité, nous ne trouvons rien de plus dans ces idées et tout cela est dans l’homme. L’homme n’en imagine pas d’autres, parce qu’il ne peut rien imaginer hors de ses propres catégories, mais rien ne prouve que celles-ci soient les seules. Le nombre et la nature de nos idées absolues sont donc déterminées par le nombre et la nature de nos catégories essentielles.

Pour ce qui est de leur formation, nous croyons qu’elles naissent de notre réflexion sur le caractère de notre activité intellectuelle. Voici comment nous l’entendons. Nous constatons que toutes nos catégories essentielles : être, relation, qualité, quantité, sont limitées et dépendantes, en un mot déterminées ; vivre c’est le constater, car nous ne vivons que par le secours d’un milieu qui nous borne. Nous sentons que nous ne nous suffisons pas, que nous ne sommes pas par nous-même. En outre, tous les objets extérieurs dont l’existence est liée et né-