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Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1879-1888.djvu/25

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LA RÊVERIE


À Madame Amélie Ernst.


La rêverie est de courte durée :
Frêle plaisir que la raison défend,
Elle est pareille à la bulle azurée
Qu’enfle une paille aux lèvres d’un enfant.

La bulle éclôt ; de plus en plus ténue
Elle se gonfle, oscille au moindre vent,
Puis, détachée, elle aspire à la nue,
Part et s’envole, et flotte en s’élevant.

Elle voyage (ainsi fait un beau rêve),
Sans autre but que de s’enfuir du sol ;
Une vapeur, un parfum la soulève,
Un rien l’entraîne ou ralentit son vol.

Dans un nuage autrefois suspendue
Elle voguait par l’éther, en plein jour !
Du ciel tombée elle est au ciel rendue,
Elle remonte à son premier séjour.