Comme un héros blessé s’éloigne à reculons
Pour mourir sans montrer au vainqueur les talons,
Et lui résiste encore et tâche à le pourfendre,
Et défend du terrain ce qu’il en peut défendre.
« Tes derniers mots m’ont fait sentir
O maitre, répondis-je, une morsure intime.
Le vif et soudain repentir
D’avoir de mon orgueil rendu l’amour victime.
« Je suivrai ton prudent conseil.
Mais apprends-moi, car l’âme a soif de sa lumière
Comme l’œil a soif de soleil.
Ce que tu sais, sinon la vérité première !
« Je me soumets sans murmurer
A l’ombre inéluctable, à la nuit nécessaire,
Ne laisse pas pour moi durer
Celle que ton génie écarte et qui m’enserre.
« Ternissant tout ce que je vois,
L’ignorance me pose une taie aux prunelles ;
Dévoile à ma raison les lois
Qui sont de l’Univers les beautés éternelles !
« Afin qu’au plein jour des sommets
Plus clairvoyant, sans brume et de haut, je contemple
Ma seule idole désormais,
Ma Stella, d’un regard plus profond et plus ample !… »
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