De la Beauté terrestre, étoile plus prochaine,
Pour les plus chastes cœurs il n’en est point ainsi !
Elle traîne, pudique, une invisible chaîne.
Voilée, hélas ! toujours comme un astre obscurci ;
Ou bien la jalousie, en éveil à toute heure,
Au regard enchanté vient barrer le chemin.
Car il faut en amour que le grand nombre pleure,
Que le bonheur d’un seul frustre le genre humain.
C’est pourquoi bénissons un art qui nous enseigne,
Par le marbre où le souffle est venu s’apaiser,
Un amour dont le cœur ne frémit ni ne saigne,
Affranchi de l’espoir et des deuils du baiser.
N’adorant que la forme où transparait l’idée,
La Beauté dont le vrai rehausse la splendeur,
Le sculpteur nous la donne auguste, possédée
Par l’admiration, gage de la pudeur.
On rougit de montrer le corps seul avant l’âme :
Cette rougeur en lui révèle un saint flambeau ;
Le sculpteur peut montrer la nudité sans blâme,
N’offrant que le Divin dans les lignes du Beau.
Saluons donc cet art qui, trop haut pour la foule.
Abandonne des corps les éléments charnels.
Et, pur, du genre humain ne garde que le moule,
N’en daigne consacrer que les traits éternels !
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