Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/172

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DAMNATION


 
Le dimanche, au salon, pêle-mêle se rue
Des bourgeois ébahis la bizarre cohue
Qui s’en vient, chaque année, à la foire des arts,
Vainement amuser ses aveugles regards.
Ainsi devant le beau, dont il ne s’émeut guère,
L’obscur faiseur de gloire appelé le vulgaire
Va, la bouche béante et l’œil vide, pareil
À des flots de moutons bêlant vers le soleil.

Là, cependant, un homme au front lourd de pensée,
Maigre, sous un manteau dont la trame est usée,
Dans un coin du jardin, debout, songe à l’écart.
Les bras croisés, il fixe un douloureux regard
Sur les marbres dressés le long des plates-bandes.
Le malheureux ! Il sent ses blessures plus grandes,
Et plus épaisse l’ombre où ses maux l’on fait choir ;
Car lui-même autrefois, maniant l’ébauchoir,
Il eut les rêves blancs et bleus du statuaire.
Mais bientôt l’indigence a mis un froid suaire