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Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/187

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Quand rirons-nous le rire honnête d’autrefois ?
Ce ne sont aujourd’hui qu’absurdes bacchanales ;
Farces au masque impur sur des planches banales ;
Vil patois qui se fraye impudemment accès
Parmi le peuple illustre et cher des mots français ;
Couplets dont les refrains changent la bouche en gueule ;
Romans hideux, miroir de l’abjection seule ;
Commérage où le fiel assaisonne des riens ;
Feuilletons à voleurs, drames à galériens,
Funestes aux cœurs droits qui battent sous les blouses ;
Vaudevilles qui font, corrupteurs des épouses,
Un ridicule impie à l’affront des maris ;
Spectacles où la chair des femmes, mise à prix,
Comme aux crocs de l’étal exhibée en guirlande,
Allèche savamment la luxure gourmande ;
Parades à décors dont les fables sans art
N’esquivent le sifflet qu’en soûlant le regard ;
Coups d’archets polissons sur la lyre d’Homère,
Et tous les jeux maudits d’un amour éphémère
Qui va se dégradant du caprice au métier :
Voilà ce qui ravit un peuple tout entier !

O Bêtise, éternel veau d’or des multitudes,
Toi dont le culte aisé les plie aux servitudes,