Page:Sully Prudhomme - Poésies 1866-1872, 1872.djvu/35

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CRI PERDU


 
Quelqu’un m’est apparu très loin dans le passé :
C’était un ouvrier des hautes Pyramides,
Adolescent perdu dans ces foules timides
Qu’écrasait le granit pour Chéops entassé.

Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé
Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ;
L’effort gonflait son front et le creusait de rides ;
Il cria tout à coup comme un arbre cassé.

Ce cri fit frémir l’air, ébranla l’éther sombre,
Monta, puis atteignit les étoiles sans nombre
Où l’astrologue lit les jeux tristes du sort ;

Il monte, il va, cherchant les dieux et la justice,
Et depuis trois mille ans sous l’énorme bâtisse,
Dans sa gloire, Chéops inaltérable dort.