Page:Sully Prudhomme - Réflexions sur l’art des vers, 1892.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
réflexions sur l’art des vers

qu’il relève immédiatement de la sensibilité. Ce qu’il y a de personnel dans leur manière de sentir, la raison d’être de leurs œuvres, ce qui en fait le prix, l’originalité, ne peut se traduire que par leurs œuvres mêmes. Aussi rien n’est-il plus vain, plus décevant que de leur demander l’exacte formule de leurs aspirations ; quand ils la donnent, elle n’est pas précise et n’est guère intelligible que pour eux-mêmes. Dans la polémique leur situation est bien différente de celle des géomètres. Pour peu qu’ils soient consciencieux et modestes, elle devient fort désavantageuse. Ils ne se dissimulent pas que leur foi manque, par essence, de fondement rationnel, et le respect même qu’ils ont de leur idéal les empêche de le livrer mal défini à une discussion qui l’offense ; enfin leur défiance d’eux-mêmes accroît leur impuissance à se faire comprendre. Au contraire, s’ils sont affranchis de tous ces scrupules, ils ont beau jeu. Il leur suffit d’émettre un programme de principes et, pour l’autoriser, de déclarer qu’ils sentent ce qu’ils affirment ; personne n’est en mesure ni en droit de contester des assertions