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réflexions sur l’art des vers

l’autre. Mais combien s’en faut-il que la plasticité mimique du langage égale celle de la physionomie corporelle, que les phrases soient aussi dociles aux battements du cœur, aussi souples, aussi mobiles que les traits, surtout quand elles sont soumises aux lois inflexibles de la versification ! Combien la phrase, qui est une ligne brisée, est-elle moins sinueuse qu’une ligne courbe (celle du sourire, par exemple), et combien la mosaïque des mots est-elle moins nuancée qu’une gradation et un mélange de tons (telle la rougeur pudique sur un front lilial). La nuance, comme la sinuosité, efface la juxtaposition ; elle est la commune et indiscernable limite de deux choses qui se fondent et s’atténuent mutuellement à leur point de contact ; elle participe des deux à la fois sans être ni l’une ni l’autre. L’originalité de l’écrivain, ainsi que nous l’avons définie, se traduit dans ses œuvres par le choix des sujets qu’il traite et par ce qu’il y met de soi. Tant de variations des mêmes sujets ont tant de fois défrayé les recueils de poésies, les mêmes thèmes éternels de la douleur, spécialement de la peine