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réflexions sur l’art des vers

s’explique : il y a de l’harmonie dans la prose même, dans toute phrase bien faite, dans tout membre d’une pareille phrase, dans beaucoup de mots ; leur retour à la prose n’est donc pas inconciliable avec les besoins esthétiques de l’ouïe, et dès lors, si la versification a pour but de la satisfaire, n’importe quel arrangement harmonieux de mots leur semble pouvoir être considéré comme un vers à la seule condition d’être rimé et isolé, sur le papier, de ce qui le précède et de ce qui le suit. Sauf par la rime, l’art des vers ne relève plus, dès lors, que de la typographie ; certaines éditions de poésies récentes en font foi, à cela près que la majuscule initiale de chaque vers est supprimée, parce qu’elle est en usage dans les éditions des poésies arriérées et que d’ailleurs elle n’est pas indispensable pour l’isoler. Ces écoles paraissent oublier que le but de la versification n’est pas seulement de satisfaire l’oreille, que l’objet propre de cet art est de la satisfaire le plus qu’il est possible par le langage, grâce à une phonétique toute spéciale, éminemment distincte de celle de la prose, et découverte