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réflexions sur l’art des vers

dans la mémoire. Le son vocal est donc susceptible de variations intrinsèques et de plus comporte un mouvement. Or les premières peuvent servir de jalons au second, en marquer des divisions ; de là le rythme, mouvement phonique divisé en intervalles jalonnés par des variations dans la qualité du son. Chaque intervalle s’annonce à l’oreille, est mesuré d’avance et attendu par elle. Il en faut donner la raison. Dans toute phrase bien faite, la logique même de la construction fait croître jusqu’à la fin l’intérêt qui s’attache au sens ; par suite, l’animation de la parole, le mouvement de l’âme communiqué à la diction, loin d’avoir été épuisé par la période achevée, s’y est, au contraire, accéléré, et cette accélération prédétermine l’essor de la voix réservé à la période suivante. C’est pour cela qu’il en coûte toujours au lecteur ou au récitateur d’interrompre brusquement son débit ; il est obligé de retenir sa voix, qui est comparable à un mobile ayant une vitesse acquise. De là vient encore que le débit tend toujours à se précipiter, jusqu’à ce que le souffle manque et cesse de