Page:Sully Prudhomme - Réflexions sur l’art des vers, 1892.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
réflexions sur l’art des vers

et de les marquer par un plaisir, celui que procure toute répétition préfixée d’un son. Ce plaisir est d’autant plus vif qu’il y entre plus d’agréable surprise et qu’il remplit mieux sa fonction dans le rythme. L’avantage des rimes riches sur les rimes pauvres ressort trop clairement de cette analyse pour que nous y insistions. Il arrive néanmoins que certains mots riment trop. C’est que la rime tend alors à les identifier, ce qui lèse l’auditeur dans son attente même, car, s’il jouit de la répétition, il ne jouit pas moins de la diversité dans l’unité, et il désire ne sacrifier aucune de ces satisfactions à l’autre ; il faut réussir à les lui donner ensemble en faisant à chacune sa juste part, que mesure le sens esthétique, sens des proportions. Avec le rythme régulier, la fixation du nombre des syllabes et la rime, le vers était déjà si bien constitué qu’il semblait avoir réalisé, dans les œuvres des grands poètes du xviie siècle, tout ce que sa forme peut donner d’expression passionnelle. Il était cependant, à cet égard, susceptible d’en accroître encore les ressources, comme l’ont prouvé les heureuses innovations d’André Ché-