Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1865-1866.djvu/247

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Nous n’avons pas connu ces belles gaîtés folles,
Salut de la jeunesse à la création ;
Nos fronts décolorés n’ont d’autres auréoles
Que les blêmes reflets de l’indignation.

Nous avons oublié les yeux des jeunes filles ;
Pères, les vôtres seuls nous peuvent enflammer !
Quand un grand deuil civique assombrit les familles,
Les enfants sont muets, ils n’osent plus s’aimer.

Ils n’osent plus s’aimer : les cœurs cessent de battre
Pour vouer à la haine un culte simple et froid.
Les vierges sont nos sœurs quand nous allons combattre,
L’amour avec respect cède la place au droit.

Nous marchons librement, détachés de la vie
Comme si nous étions des spectres de vingt ans ;
Les jeunes de Valmy nous porteraient envie :
Nous vibrons tout entiers dans les tambours battants !

Et nos aïeux, tous ceux dont la Pologne est veuve,
Viennent nous parler bas ; nous nous sommes voués,
Et nous voulons tomber dans la prétexte neuve,
Comme ces vieux héros dans les drapeaux troués.