Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/129

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     Courage ! entends le reste, alors tu verras mieux :
L’ombre est épaisse, oui, mais d’un thyrse de flamme
Un grand espoir d’honneur m’est venu frapper l’âme ;
Il m’attise au côté l’amour délicieux
Des Muses ! et tout plein de leur vertu, j’explore
Des déserts que nul autre au mont Piérus encore
N’a foulés ! Il me plait d’aller faire jaillir
Des eaux vierges encore ; il me plaît de cueillir
Des fleurs neuves, d’atteindre une illustre couronne
Dont les Muses n’ont ceint les tempes de personne !
Et mon objet est grand ! Je viens rompre les fers
Dont les religions garrottent l’âme humaine.
Je chante, illuminant un ténébreux domaine
Où je colore tout de la beauté des vers !
Et ce charme est utile à l’œuvre que je tente :
Le médecin qui fait d’ingénieux efforts
Pour donner aux enfants l’absinthe rebutante
A d’un miel doux et blond du vase enduit les bords,
Et l’approchant ainsi de leur lèvre amusée
Leur verse à leur insu cette amère liqueur,
Non pour mettre en péril leur candeur abusée,
Mais leur rendre plutôt la vie et la vigueur ;
Et moi, dont le sujet est si peu fait pour plaire,
Sujet souvent ingrat aux disciples nouveaux
Et toujours abhorré du rebelle vulgaire,
Dans ce parler suave exposant mes travaux,
J’ai voulu les dorer du doux miel de la Muse.
Puisses-tu, jusqu’au bout, séduit par cette ruse,
Avec moi pénétrer, sous le charme des vers,
L’essence, la figure et l’art de l’Univers !