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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

faire prendre cette somme par le trésorier de la colonie qui la distribuera, peu à peu, dans les payements qu’il fera pour le roi au moyen des espèces d’argent que Sa Majesté fait passer tous les ans dans cette colonie, et ce trésorier fournira des lettres de change sur le trésorier-général de la marine pour le montant de la dite monnaie qui lui sera remis. » Bientôt, le ministre voulut aller plus loin, selon que montre un rapport de Clérembault d’Aigremont : « Il est certain que l’augmentation du tiers proposée sur les espèces au-dessus de leur valeur intrinsèque n’opérerait point le succès qu’on a pensé et ne servirait au contraire qu’à ruiner la colonie ; les marchands forains qui y viennent trouveraient encore plus d’avantage par l’augmentation du prix de leurs marchandises, qui seraient au moins du double du cours d’à présent, et ils remporteraient également les espèces sur lesquelles ils auraient leur bénéfice aussi. » Le 11 novembre 1728, M. de Beauharnois écrivait au ministre : « Nous sommes, M. Daigremont et moi, très embarrassés sur la disette d’argent qu’il y a en Canada. Tout le public nous fait des représentations par des requêtes pour faire de la monnaie de carte que l’on ferait retirer à l’arrivée, du vaisseau du roi. Le commerce du billet est fort dangereux et donne lieu à une usure épouvantable dont on n’a que trop vu les mauvais effets. Nous allons examiner tout et nous ne nous y déterminerons qu’autant que nous ne pourrons absolument nous en dispenser et il n’y a guère de moyen de faire autrement. Voilà, ci-jointe, la requête des négociants :

« Les négociants et habitants de cette colonie se trouvent indispensablement obligés de vous remontrer très humblement qu’ils sont aujourd’hui chargés d’une quantité de marchandises dont ils ne peuvent se procurer aucune vente, qui resteront invendues dans leurs magasins jusqu’à l’année prochaine sans qu’ils puissent espérer qu’il s’en fasse aucune consommation, ce qui causera infailliblement leur ruine et celle du commerce et de la colonie, si vous n’avez la bonté d’y pourvoir. Le défaut de circulation d’espèces dans la colonie est la seule source de la cessation du commerce. Les billets ou lettres de change des caisses du roi et de la compagnie des Indes, qui circulent aujourd’hui en Canada, ne sont propres qu’au commerce en gros et ne peuvent servir au détail du particulier et de l’habitant, parce que le particulier ne peut acheter de l’habitant les denrées nécessaires à la vie ; l’habitant ne peut acheter les marchandises dont il peut avoir besoin ; l’artisan ne peut être payé de son ouvrage ni par son travail se procurer la vie et l’habillement avec cette sorte de billets qui ne peuvent jamais faire des appoints justes dans le détail du commerce des denrées nécessaires à la vie ; des marchandises pour l’habillement et du payement des ouvriers pour lequel détail il est indispensable d’avoir une monnaie courante : il n’en paraît plus en ce pays. C’est cependant de détail réciproque du particulier et de l’habitant et des artisans que le commerce en gros dépend absolument, parce qu’il est évident qu’il ne peut se soutenir que par la consommation et le détail. Il est venu cette année, plus de marchandises de France qu’il n’en était venu depuis très longtemps, tant par les marchands forains que par les domiciliés, qui ne peuvent prévoir ce que les forains apportent et ont fait venir de France les marchandises qu’ils sont accoutumés de faire venir pour la consommation ordinaire du pays. Ces