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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VI, 1882.djvu/108

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

marchandises sont encore invendues pour la plus grande partie, et les domiciliés ne peuvent plus compter de faire aucun retour en France pour cette année. Ils ne peuvent pas même espérer de les vendre pendant le cours de l’année, parce que tous les états de la colonie seraient dans l’impossibilité d’acheter en détail ; et que les personnes même les plus aisées seront obligées de supprimer malgré eux des dépenses qu’ils seraient en état de faire, faute d’une monnaie dont la circulation facile puisse y satisfaire. La colonie restant dans cet embarras, il est impossible que le commerce n’y soit entièrement ruiné ; le mal ira toujours en augmentant et si les marchandises qui sont actuellement dans la colonie restent invendues jusqu’à l’arrivée des vaisseaux de France l’année prochaine, comme il arrivera infailliblement, n’y ayant point de consommation faute d’une monnaie absolument nécessaire pour la procurer. Les marchandises qui pourraient venir de France l’année prochaine, avec celles qui seront restées invendues feront une masse que le commerce borné du Canada ne pourra soutenir. D’ailleurs, les domiciliés se trouveront réduits à ne demander aucunes marchandises en France l’année prochaine. Les uns parce qu’ils n’auront point vendu cette année ou que les crédits qu’ils auront pu faire ne seront point payés et que par conséquent ils n’auront aucun retour à faire en France. Et ceux qui pourraient avoir des fonds à envoyer dans l’appréhension de se surcharger de nouvelles marchandises qui leur resteront invendues si la consommation ne leur en devient assurée par une monnaie qui puisse circuler. Cette extrémité ferait entièrement cesser le commerce de la colonie, sans lequel elle ne pourra subsister et dont il est l’unique soutien. Les remontrants osent espérer de votre justice que vous voudrez bien prévenir la perte aussi infaillible que prochaine de cette colonie, en faisant mettre dans le commerce une monnaie en billets, ou de quelque manière que vous jugerez le plus convenable, depuis vingt livres jusqu’à dix sous, qui puisse circuler dans le commerce et procurer à la consommation, laquelle monnaie aura cours comme espèces pendant l’année, jusqu’à l’arrivée du vaisseau du roi à laquelle elle pourra être retirée et payée en argent, si Sa Majesté a la bonté d’en envoyer, ou en lettres sur la France. — (Signatures) De la Gorgendière, V… Chevron, Riverin, C. Porlier, De la Cellière, Jérémie, Grandinesnil, Beaudoin, F. Caban, Jean Lamorille, Bazil Poulin, Crespin P. Normandin, Dupon Soumet, Beauvisage, Perthusat, Courval, Foucher, Desaunier, F. Poisset. »

Les accidents de mer avaient plusieurs fois causé de la gêne au commerce et amené de véritables disettes dans la colonie. Vers 1694, le Carousel périt dans le Saint-Laurent avec toute sa cargaison et une forte somme de numéraire. En 1705, la Seine fut prise par les Anglais ; elle convoyait des navires marchands portant près d’un million de livres de valeur qui tombèrent aux mains de l’ennemi ; les magasins se trouvant vides, les Canadiens eurent recours plus que jamais à l’industrie domestique pour se vêtir. On estimait, en 1715, que les pertes souffertes sur mer, par suite de la guerre ou des naufrages, s’élevaient à trois millions et demi depuis 1690. Le 28 août 1725, le Chameau[1] périt corps et biens sur un rocher, à

  1. Au mois de juin 1720 M. de Voutron commandait ce vaisseau et le comte de Vaudreuil en était le capitaine en second. Le pilote Chaviteau remplissait encore ces fonctions sur le même bord lors de la catastrophe de 1725.