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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’outillage approprié à ses besoins. Ceci est tellement le cas, que le froid de nos hivers a cessé d’être un objet de terreur dès que l’on nous a envoyé des « habitants » au lieu des « hivernants » et des « employés » de la traite. Inutile de dire, aussi, que dans cette contrée où leurs nationaux d’autrefois mouraient de faim, nos habitants ont trouvé matière à faire bombance et joyeuse vie.

« Le 5 juin (1609), arriva une chaloupe à notre habitation où était le sieur Des Marais, gendre de Pontgravé, qui nous apporta nouvelle que son beau-père était arrivé à Tadoussac le 28 de mai. Cette nouvelle m’apporta beaucoup de contentement pour le soulagement que nous en espérions avoir. Il ne restait plus que huit de vingt-huit que nous étions, encore la moitié de ce qui restait était mal disposée. »

De ces huit survivants, quatre nous sont connus : ce sont Champlain lui-même, le pilote Laroutte, Étienne Brulé et Nicolas Marsolet. Laroutte ne se retrouve plus au Canada après 1610. Brulé resta dans le pays, devint interprète des Hurons, et mourut vers 1633. Marsolet fut le seul qui fonda une famille canadienne ; il était interprète des Montagnais, principalement ; nous le reverrons au cours des événements, ainsi que Brulé. La descendance de Marsolet porte encore ce nom et réside parmi nous.

« Le 7 de juin, je partis de Québec pour aller à Tadoussac communiquer quelques affaires, et priai le sieur Des Marais de demeurer à ma place jusqu’à mon retour, ce qu’il fit. »

« Aussitôt que j’y fus arrivé, le Pont-gravé[1] et moi discourûmes ensemble sur le sujet de quelques découvertures que je devais faire dans les terres, où les Sauvages m’avaient promis de nous guider. »

Il est question ici de l’une des démarches les plus importantes du fondateur de Québec : la guerre des Iroquois. Les historiens se sont demandé s’il était politique de provoquer ces féroces tribus, au risque d’attirer sur les établissements français les conséquences d’une lutte sans merci. Les circonstances répondent, et les voici :

Cartier avait trouvé à Québec (1535) de nombreuses familles algonquines ; sans égard pour les instances qu’elles lui faisaient, il était allé jusqu’à Hochelaga, habité par leurs ennemis. Il en était résulté une froideur dont les Français n’avaient eu que trop à se plaindre à leur retour du haut du fleuve, si bien que les rapports entre eux étaient devenus presque hostiles. Alors, perdant tout espoir de se concilier les gens de Donnacona, Cartier ne se fit pas scrupule d’en enlever plusieurs, y compris le chef (1536). Cinq années plus tard, Cartier et Roberval ressentirent les effets de la mauvaise réputation qu’ils s’étaient acquise, ce qui contribua beaucoup à rendre leur séjour difficile dans la position déjà incommode où ils se voyaient. Champlain, instruit par leur exemple, avait eu la précaution, dès son premier

  1. Champlain a plus d’une manière d’écrire le nom de Pontgravé : « le sieur du Pont… ayant su du Pont gravé… le dit Pont-gravé… le sieur de Monts les envoya au Pont… le sieur du Pont surnommé Gravé… ce fut occasion d’en parler au Pont-gravé… le Pont arriva… je priai le Pont… le pilote de Pont-gravé… Robert Gravé, fils du sieur du Pont… le Pont-gravé et moi discourûmes… »

    Le Père Biard et Lescarbot écrivent : « Pontgravé » et « du Pont. » La capitulation de Québec, en 1629, porte pour signature « Champlain » et « Lepont. » Dans la réponse faite à cette pièce, on lit « du Pont » et « Dupont gravé. » Il y a dans ces nombreuses variantes des noms pour tout un clan.