Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

savaient que la position de de Monts était menacée, mais ils ne la croyaient pas si précaire. Dès le 24 novembre 1608, la communauté des marchands de Saint-Malo avait pris des mesures pour faire révoquer le privilége de ce seigneur. Les Rochelois, les Normands et les Basques en avaient fait autant. Le sieur Josselin Crosnier Rouaudaye, député des gens de Saint-Malo à Paris, écrivait, le 26 mars 1609, à la communauté, qu’il y avait un arrêt du conseil d’État accordant le commerce libre, pourvu que le sieur de Monts fût indemnisé de six ou dix mille francs de déboursés qu’il avait faits au Canada. La communauté refusa d’accepter l’arrangement, se sentant assez forte pour mener son opposition à bonne fin.

Cette même année 1609, d’autres Malouins, appelés Richard Boullain Bardoulaye, Jean Pepin Bonesclers, Jullien Gravé Lepré, et Allain Masgon Brehaudaye, firent la traite des pelleteries au Canada, se fondant, probablement, sur la demi-victoire remportée par leurs concitoyens dans la dispute que nous venons de mentionner. Le sieur de Monts les poursuivit en justice, et, vers la fin de l’année 1613, fit condamner les quatre commerçants à lui rembourser la somme de six mille livres. La communauté de Saint-Malo et les particuliers de cette ville paraissent avoir subi plus d’un procès de ce genre ; car il y est fait allusion dans les archives de la communauté.

Madame de Guercheville, priée d’aider la compagnie du sieur de Monts, refusa de verser trois mille six cents livres pour consolider Québec ; elle confia mille écus à Poutrincourt, ou à ses associés (1611), sans compter les collectes qu’elle s’imposa, comme nous le verrons, et perdit le tout à Port-Royal et à Saint-Sauveur.

Malgré la révocation de son privilége (1609), de Monts gardait le poste de Québec ; mais c’était tout. Lui et Champlain partirent de Fontainebleau pour Rouen, et conclurent, avec Lucas Legendre et le sieur Collier, leurs associés, un marché par lequel ces derniers se chargeaient des frais de l’habitation et de ce que pourraient coûter les découvertes dans le haut du fleuve, selon ce qui avait été convenu avec les Hurons : ceux-ci prêtant leur concours à condition qu’on les aiderait dans leurs guerres. Pontgravé devait tenir la traite de Tadoussac, et Champlain s’occuper de la colonie en général.

Les vaisseaux étaient prêts pour partir, selon la coutume, aux grandes mers de mars. On avait recruté des artisans et des manœuvres. Champlain s’embarqua, à Honfleur, le 7 mars 1610 ; mais le mauvais temps le chassa vers l’Angleterre. Il séjourna quelque peu dans la rade de Portland, puis se rendit à l’île de Wight ; les brumes devenaient de plus en plus incommodes, et, Champlain se sentant malade, on résolut de le conduire, sur un bateau, jusqu’au Havre, où il espérait qu’étant rétabli, il monterait sur le navire de Desmarais, gendre de Pontgravé. Toutefois, comme le bâtiment qui portait Champlain avait besoin de prendre du lest, il relâcha (15 mars) à Honfleur, et, lorsqu’il reprit la mer, le 8 avril, notre malade crut devoir se rembarquer, bien qu’il fût encore faible et débile. La traversée fut rapide. Le 19 avril, ils étaient sur le grand banc, et aux îles Saint-Pierre le 22. « Étant le travers de Menthane, nous rencontrâmes un vaisseau de Saint-Malo, où il y avait un jeune homme qui, buvant à la santé de Pontgravé, ne se put si bien tenir que, par l’ébranlement