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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

exposées dans cette réunion, ne devaient point être comprises en France. Cent ans plus tard, elles ne le furent pas davantage lorsqu’on pria le régent de retourner à la politique de Colbert, de Richelieu et de Champlain.

Les affaires du Canada n’étaient pourtant plus tout à fait sans importance aux yeux de quelques-uns. Une sorte d’agitation se faisait en cour. Champlain n’y était pas étranger. Les Religieux non plus. Mais on s’étonnait des difficultés qu’éprouvaient les missionnaires de l’Amérique du Nord dans la conversion des Sauvages, tandis que ceux des possessions espagnoles baptisaient des idolâtres par milliers. C’était vouloir ne rien comprendre à une chose fort simple : il eût suffi au Canada de ne point commencer par scandaliser ces pauvres gens, et, dans les colonies du Sud, de ne les proclamer chrétiens qu’après leur avoir enseigné ce que cela voulait dire. Et puis, les intéressés ou trafiquants du Canada se déchiraient entre eux sous le prétexte qu’ils étaient ou catholiques ou huguenots, autre obstacle à la propagation de l’Évangile. Nul, à part Champlain et les Récollets, ne voyait ou ne voulait voir l’état réel de la situation. Les Sauvages ne s’en édifiaient aucunement, et la colonie en souffrait plus qu’on ne saurait dire.

Quand un pays a été désuni, comme la France d’alors, durant un demi-siècle par les guerres de religion, on trouve difficilement quelqu’un qui, arrivé à la tête des affaires, soit sans préjugé ou éloigné des intérêts mesquins, et qui sache découvrir la voie cachée au milieu du mouvement que se donnent encore les partis. Les ministres (Sully, Concini, Luynes) ne s’occupaient que de la France ancienne ; la Nouvelle-France ne méritait pas leur sollicitude, croyaient-ils. Cependant, le peu qui s’accomplissait ici était la reproduction trop fidèle de ce qui s’était passé de l’autre côté de l’Atlantique. Le germe si faible, si exposé de la colonie canadienne était dévoré par les luttes intestines. Il manquait un homme d’autorité qui sût faire un choix entre deux principes et exclure carrément l’école qu’il ne croyait pas devoir supporter. Richelieu fut cet homme, en 1627.

Le 20 juillet, les Pères Jamay et Le Caron, ainsi que Champlain, s’embarquèrent pour Tadoussac, où Pontgravé les attendait. Ils firent voile vers la France, le 3 août, arrivèrent à Honfleur le 10 septembre 1616, et apprirent que le prince de Condé avait été arrêté, le premier septembre, à la suite d’intrigues politiques dirigées contre le fameux maréchal d’Ancre (Concino Concini), alors au comble de la faveur par la grâce de son ancienne protectrice, Marie de Médicis, régente du royaume.

Condé ne cessait pas, cependant, d’être vice-roi de la Nouvelle-France, et il y tenait d’autant plus que cette charge, dont il ne s’occupait guère, lui rapportait un cheval de mille écus annuellement, soit trois mille piastres de notre monnaie actuelle. Quelques personnes intéressées proposèrent au maréchal de Thémines[1] de demander le privilége de remplacer le prince durant sa détention, et il y consentit ; mais Condé lui signifia qu’il n’entendait pas renoncer aux avantages pécuniaires de sa vice-royauté, et il y eut force dispute à ce sujet.

  1. Pons de Lauzières, marquis de Thémines, maréchal de France, issu d’une famille du Languedoc, né vers 1552, combattit pour Henri III, contre les Ligueurs dans le Languedoc et le comté de Foix. Il fut nommé gouverneur de Bretagne en 1627.