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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

France. Lorsqu’il revint, cinq ans plus tard, il était fort embarrassé de répondre aux parents qui demandaient à revoir ces malheureux. De là une défiance, ou plutôt une antipathie que l’expédition de Roberval rencontra partout chez les indigènes des environs de Québec. L’un de nos poètes, M. P.-J.-O. Chauveau, a écrit de beaux vers sur cette épisode :

Stadaconé dormait sur son fier promontoire ;
Ormes et pins, forêt silencieuse et noire,
Protégeaient son sommeil.
Le roi Donnacona dans son palais d’écorce
Attendait, méditant sur sa gloire et sa force,
Le retour du soleil.

La guerre avait cessé d’affliger ses domaines ;
Il venait de soumettre à ses lois souveraines
Douze errantes tribus.
Ses sujets poursuivaient en paix, dans les savanes,
Le lièvre ou la perdrix ; autour de leurs cabanes
Les ours ne rôdaient plus.

Cependant il avait la menace à la bouche,
Il se tournait fiévreux sur sa brûlante couche,
Le roi Donnacona !
Dans un demi-sommeil, péniblement écloses,
Voici, toute la nuit, les fastidiques choses
Que le vieux roi parla :

« Que veut-il, l’étranger à la barbe touffue ?
Quels esprits ont guidé cette race velue
En deçà du grand lac ?
Pour le savoir, hélas ! dans leurs fureurs divines,
Nos jongleurs ont brûlé toutes les médecines
Que renfermait leur sac !

« Cudoagny[1] se tait : les âmes des ancêtres
Ne parlent plus la nuit ; car nos bois ont pour maîtres
Les dieux de l’étranger ;
Chaque jour verra-t-il s’augmenter leur puissance ?
J’aurais pu cependant, avec plus de vaillance,
Conjurer ce danger.

« J’aurais pu repousser, loin, bien loin du rivage
Le chef et son escorte, et châtier l’outrage
Par leur audace offert ;
Mais de Cahir-coubat[2] ils ont toute la grève,
Et déjà l’on y voit un poteau qui s’élève,
D’étranges fleurs couvert.
 

  1. Esprit familier, ou dieu des gens de Donnacona.
  2. Cahir-coubat : nombreux méandres. C’est la rivière Sainte-Croix, appelée Saint-Charles depuis 1620.